STRATÉGIE DÉCHETTERIE

À Ouessant, petite Île française du Finistère (Nord Atlantique), pratiquement préservée des voitures (on y circule à vélo), la mairie socialiste a donné son accord à un projet d’ implantation en plein milieu de l’île d’une immense déchetterie... À Toulouse, des enseignants du Mirail, aidés d’autres étudiants, ont enfoncé les piquets de grèves que tenaient les étudiants « grévistes » allant même jusqu’à donner des pieds et des mains sur leurs élèves… Sur Internet circule une vidéo où l’on peut voir la nouvelle Miss France dans l’incapacité de répondre à la question : « Qui a écrit le Requiem de Mozart ? »…

De ces événements disparates, on peut souligner la commune absurdité. Seulement chacun fait partie d’une certaine mouvance, mouvance qui voudrait nous faire croire que le pays dans lequel nous vivons s’est mis à marcher sur la tête, alors qu’il obéit à des règles strictes qu’on cherche à nous rendre confuses.

L’exemple insulaire parle de lui-même, du moins met-il en image ce qui se passe aujourd’hui au niveau national : dégueulassons les sites encore préservés, la grande stratégie nationale est ce qu’on pourrait appeler une « stratégie déchetterie ».

On a pu observer ces derniers mois, la manière dont s’installait la nouvelle donne politique. Le nouveau discours politique a d’abord commencé par entacher ses opposants, il les a rendus puants : « preneurs d’otages », « bloqueurs », « anti-démocrates ». Il leur a fait porter tous les maux : les cheminots devenaient des privilégiés, les étudiants « bloqueurs » la raison de la dégradation et de la désertification des Facultés faisant ainsi le jeu des grandes écoles et des écoles privées. Très vite la contestation des réformes est devenue réactionnaire, de même que la conservation des acquis sociaux ; face à cela : le changement, l’agitation politique s’offrait des airs de grande nettoyeuse. La politique à coup de kascher était en place, on allait faire disparaître la saleté qui empêchait le mouvement de passer !

Le gouvernement rendait clean ce que les manifestants rendaient sale. Pire ! les manifestants, dans leur attitude réactionnaire, préféraient conserver la crasse dans laquelle ils se baignaient, que le changement salutaire qu’on leur proposait : ils étaient devenus fous, il fallait leur rendre la raison, conclurent nos experts. La « stratégie déchetterie » semble fonctionner à l’envers si l’on omet de spécifier que c’est elle qui dégueulasse ce qu’elle met un point d’honneur, ensuite, à nettoyer. Le déchet est une construction, le fruit d’un processus : il se construit, s’entretient, et s’élimine.

Exemple simple : une population modeste gêne au centre de la ville, on pratique, pour une raison ou une autre (fuite d’eau ou de gaz inventée), sa mise en quarantaine, on cesse d’y ramasser les poubelles, le quartier se dégrade très vite, pourrit, on invoque alors les conditions insalubres, ce le quartier est devenu un déchet qui menace l’ensemble de la ville (principe de l’infection). Solution ? Rénovation urbaine ! Le quartier une fois rénové n’est plus financièrement accessible aux populations qui le peuplaient, on les reloge en périphérie, et on y introduit à la place une population plus aisée qui ne gêne plus, et qui rapporte plus d’argent (cela se passe en ce moment même à Marseille).

« Qui ne gêne plus » : à la base il y a des « gênants » et non des « déchets », nuance ! Le déchet s’élimine, la gêne est plus complexe, elle est affaire de référent : qui gêne qui, pourquoi, dans quel contexte ? Il s’agit donc de couper court à ces questions, et de transformer les gêneurs en déchets ou en producteurs de déchets. Premier aspect de la « stratégie déchetterie » qui fonctionne aujourd’hui tout azimut : salir, dégrader, pour éliminer. Ainsi les piquets de grèves furent réduits aux dégradations qu’ils provoquèrent et qu’on leur attribua, et à la mauvaise image qu’ils donnaient de la Faculté. Là dessus une splendide vidéo sur le site de « Liberta Fac »*, sur fond d’orgue sinistre, montrait la déchetterie au sens propre qu’était devenue la Faculté du Mirail sous le joug de ces zoulous de grévistes, participant eux-mêmes ainsi, par Internet, à la propagation de la « mauvaise image » de la Fac et des ces occupants…

Des professeurs jouant des pieds et des mains sur leurs élèves qui tiennent les piquets de grèves, ces professeurs sont aidés par des élèves qui souhaitent travailler. Voilà nos nouveaux nettoyeurs mais aussi nos poseurs de déchets. Ils portent une double casquette comme tout bons défenseurs et acteurs de la « stratégie déchetterie » : les penseurs de la stratégie n’en sont plus les seuls acteurs, ils ont formé des disciples, tout le monde peut faire le sale boulot de poseurs de merde, tout le monde peut jouer aux cow-boys : les nouvelles forces de l’ordre sont là, d’enseignants et étudiants, on passe à vigile, sacrée promotion !

« Vigile ! Tu joues au cow-boy ! » nous disait le vieux rockeur français, en ce temps-là, ils avaient le monopole de la gâchette et du bâton, plus maintenant. Faire péricliter les AG étudiantes, faire valoir l’argument de l’immense majorité, de la prise d’otage par des minorités privilégiées et bien d’autres actions sont le reflet de l’accord tacite signé nationalement entre les bons citoyens travailleurs (n’allons pas croire qu’ils aient été abusés) et le gouvernement.

L’année 2007-2008 est l’année de l’élection de Miss France propre, car ceux qui salissent les autres, eux, sont toujours clean : Sarkozy n’est pas raciste, non… ; les professeurs et étudiants qui font le coup de poing agissent au nom de la démocratie et de la liberté d’accès au savoir, oui… ; cette miss France là se lave bien les mains et se parfume après avoir fait le sale boulot, ni vu ni connu, tout sourire, toute tolérante.

Mais il y a un petit hic : miss France propre, oui, mais miss France un peu bête aussi, ce sera la seule tache que nous, déjà bien salis, nous lui mettrons sur la figure. Un peu bête, pas foutue de répondre à la question du requiem. Mais bon, elle a été élue démocratiquement, ah ça oui, pas de doute !

Chers amis lecteurs et acteurs de cette revue, croyez bien que nous ne cesserons jamais de travailler dans un sens précis : sauvegarder les sites encore préservés au milieu de la déchetterie nationale, en créer de nouveaux (dont cette revue) et les étendre. Autrement dit aussi, replacer les déchets à leur juste place, là où la bêtise s’étend et où elle doit s’éteindre, sur la pauvre tête de Miss France propre, élue démocratiquement, et légitime du même coup (ça c’est pratique), à qui je me permettrai de poser une seconde question :

« Pour qui, à votre avis, Gainsbourg a-t-il écrit le Requiem pour un con ? »


gabriel