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NOTES SUR L’ÉCLATEMENT DE L’URSS

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NOTES SUR L’ÉCLATEMENT DE L’URSS Empty NOTES SUR L’ÉCLATEMENT DE L’URSS

Message  Admin Mer 21 Mai - 10:36

(Quand Gorbatchev a démissionné j’avais 8 ans et je ne m’en souviens plus)

L’histoire de l’éclatement et de la destruction de l’URSS nous montre différentes choses : malgré d’importantes manifestations de masse à Moscou et les grèves des mineurs, il est manifeste que l’URSS n’a pas été renversée par une révolution populaire, mais par un choix politique d’une partie des élites communistes d’opter pour l’indépendance vis-à-vis du pouvoir central de l’Union. Ce choix politique se réalisa, en effet, sous la forme bien particulière d’indépendances politiques et de l’expropriation des biens et des pouvoirs de l’Union au niveau des républiques (indépendance des Etats Baltes, de la Géorgie, de l’Arménie, mais aussi et surtout indépendance de la Fédération de Russie elle-même vis-à-vis du pouvoir central de l’Union), ainsi que sous la forme de privatisations des biens publics de l’Etat central et de ses pouvoirs par les anciennes élites communistes locales. Il s’agit donc d’un assaut sur le pouvoir central, à proprement parler « soviétique », par les élites d’organes du pouvoir local, qui jusqu’alors ne servait que de courroie de transmission des décisions du pouvoir central. Pour nous convaincre de ce fait, il suffit de remarquer que les « nouveaux démocrates » qui organisèrent cette lutte contre le pouvoir central soviétique ne furent absolument pas issus d’une société civile effectivement bâillonnée et aspirant donc à la révolte, à la reconnaissance et à l’abolition de son oppression. Au contraire, ces hommes appelés « nouveaux démocrates », correspondant à la nouvelle élite post-soviétique qui se substitua historiquement à l’élite centrale soviétique, n’étaient ni plus, ni moins que les dirigeants politiques des différents partis communistes régionaux jusqu’aux années 1986-1990. C’est donc depuis le sommet du pouvoir local, dans l’immense Fédération de Russie, dans les Etats Baltes, en Géorgie, en Arménie, puis dans tout le reste de l’Union, que l’on a déclaré l’indépendance. Ce sont d’anciens membres des Partis Communistes régionaux qui ont déclaré le multipartisme (en inventant ensuite leurs partis), voire l’interdiction de ce même PC auquel ils appartenaient 5 ans plus tôt. Pour se faire, il suffît à cette nouvelle élite de surfer sur la vague de revendications démocratiques (multipartisme et libertés individuelles, liberté d’expression et d’association), de réformes économiques (propriété privée et économie de marché plus ou moins encadré par l’Etat) initiées et permises par l’Etat communiste lui-même pendant la perestroïka. N’oublions pas que Gorbatchev se réclamait d’un programme social-démocrate classique d’Europe occidentale lorsqu’il croyait encore, en 1990, que l’Union soviétique pouvait être le moteur d’une conversion au capitalisme version walfare state, ainsi qu’aux Droits de l’Homme. Dans la profonde crise économique qui suivaient l’échec de la guerre d’Afghanistan, la perestroïka de Gorbatchev visait, comme le feront les dirigeants chinois jusqu’à nos jours, à vendre l’Union Soviétique tout en gardant l’Union Soviétique, c’est-à-dire à la privatiser (rappelons-nous les appels de Gorbatchev aux investissements occidentaux en URSS afin d’éviter une situation de chaos généralisé qui n’aurait été profitable à personne, lesquels lui répondirent qu’ils apporteront leurs investissements lorsque l’économie sera devenue libérale ; je ne me rappelle pas qu’ils aient attendu de voir si le pouvoir était devenu démocratique). Mais ce fut impossible, car la nouvelle norme économique était à l’abandon, c’est-à-dire à la vente, de l’Etat-Providence au profit du néo-libéralisme globalisé. Or, parce qu’elle était un territoire hautement industrialisé, l’URSS se trouvait sur la première ligne de front de la conversion néolibérale de l’économie d’Etat initiée déjà en Occident.

Dès lors, comme en Yougoslavie, l’économie de marché se développera alors dans le droit chemin des revendications nationalistes. Il est, en effet, très intéressant de noter que pour les anciens pays de l’empire communiste, le développement du capitalisme va nécessairement de pair avec le développement du nationalisme, puisque l’URSS commença son éclatement à la suite des conflits inter-éthniques entre arméniens et azéris, ainsi qu’avec la déclaration d’indépendance des Etats Baltes. Rejoindre la structure d’une démocratie libérale occidentale, ce ne pouvait être en même temps que reconstruire une identité nationale contre la puissance étatique plurinationale de l’Union soviétique. C’était recréer un « entre-nous » linguistique qui serait le fondement des futures nations, et donc le fondement d’indépendances politiques dans lesquelles les élites locales se sont elles-mêmes octroyées le pouvoir souverain sur un territoire autrefois encadré par la puissance bureaucratique centrale de l’Union. Dans un tel cas, revendiquer le droit à l’indépendance revenait à revendiquer le droit à être une nation comme le sont les nations capitalistes libérales d’Europe occidentale, c’est-à-dire le droit à devenir un territoire souverain, absolument clos d’un point de vue linguistique comme du point de vue juridique. Autrement dit, se constituer comme nation à cette époque signifiait prendre une forme bien précise de territoire, où une administration juridique = un Etat = une nation = une langue et une culture. Mais en même temps, cela consistait aussi à devenir un territoire relié au reste du monde par l’économie mondiale en tant que territoire économique de libre échange, et ceci contre le contrôle militaro-administratif d’une Union soviétique développant une économie d’Etat par la centralisation bureaucratisée de différentes nationalités.

S’il est vrai que ces pays étaient aussi économiquement exsangues qu’on le dit habituellement (ne serait-ce que par la dévaluation du rouble qui précède de quelques mois la chute du régime, mais faudrait-il encore que l’on sache la ou les causes de ce désastre économique souvent annoncé), nous ne pouvons que voir un lien direct entre perte du pouvoir central, ouverture de l’économie à la privatisation et à la propriété privée, et enfin conflits inter-ethniques et luttes d’indépendance. Remarquons alors plusieurs faits, et tirons-en une conclusion : – au vu de la très grande diversité des destins nationaux des anciennes républiques tels que l’Estonie de l’Union européenne, intégrée pleinement comme région périphérique de l’un des trois plus grands pôles économiques mondiaux, jusqu’à l’islamo-stalinisme du Turkménistan. – au vu de la récupération de certaines privatisations dans des secteurs centraux pour l’économie russe (gaz naturel) par Poutine, qu’il remet partiellement dans les mains d’un Etat qu’il rêve de nouveau impérial (depuis la réhabilitation du Tsar comme celle de Staline et Brejnev, jusqu’au mépris idéologique pour Gorbatchev et pour celui qui l’a installé à sa place, c’est-à-dire Eltsine). – compte tenu de la guerre en Tchétchénie qui ne peut en finir aujourd’hui comme hier, puisque Tolstoï en parlait déjà. – de même lorsqu’on fait attention au fait que ceux qui apparaissaient pour les européens occidentaux comme les pourfendeurs du goulag, au nom de ces revendications éminemment légitimes que sont la liberté et l’Etat de droit (tel que Walesa et Soljenitsyne), en appellent aujourd’hui à un Etat répressif, à un Etat conservateur et protecteur de l’identité slave et du christianisme. Nous pouvons alors nous demander si, moins que la fin d’un type de régime (l’Union Soviétique) et d’une idéologie (le communisme autoritaire), décédés de leurs belles morts par l’inéluctabilité de la marche vers la démocratie libérale, il ne s’agit pas plutôt dans notre cas d’un processus de décolonisation de l’Europe orientale et de l’Asie centrale, rendu possible par l’assaut du capitalisme mondialisé sur ce capitalisme d’Etat qu’était la bureaucratie soviétique, alors fragilisée par le déficit de la guerre d’Afghanistan. Ce processus serait alors bien sûr à analyser comme un processus de décolonisation complexe, se développant d’une façon propre à chaque république devenue indépendante, comme un processus largement inachevé (à l’instar des autres décolonisations). Bref, comme un processus issu de l’essoufflement économique de l’ancien pouvoir impérial (tel l’Empire colonial français et britannique après l’épuisement de la 2nde Guerre mondiale). Si tel est le cas, nous retrouvons deux des caractéristiques des processus de décolonisation. – Tout d’abord le fait que ce sont les anciennes élites locales formées par la puissance impériale qui mènent ce processus, et le mènent à leur propre compte : que cette prise de pouvoir soit issue d’une lutte de libération nationale, c’est-à-dire d’une guerre populaire, récupérée par les élites, ou plus ou moins encadrée par ces élites ; ou bien qu’elle soit issue d’une révolution de palais entre élite locale et élite centrale comme il semble que ce soit le cas dans notre exemple. – Autre caractéristique de ce processus : à la colonisation, c’est-à-dire à la domination territoriale administrative et militaire par un pouvoir impérial, succède l’impérialisme, c’est-à-dire la domination des seules zones (économique, territoriale, culturelle, ou humaine) du territoire les plus productives par un pouvoir économique étranger. Un tel phénomène pouvant se réaliser y compris lorsque cette nouvelle puissance impérialiste n’est nulle autre que l’ancienne puissance colonisatrice, comme c’est toujours le cas en Afrique subsaharienne vis-à-vis de la France, ou dans les ex-républiques soviétiques les moins développées vis-à-vis de l’actuelle Fédération de Russie (telles que l’Ukraine ou le Kazakhstan par exemple).

Il nous apparaît dès lors que l’analyse de la réalité des forces historiques de l’économie mondiale rend largement mieux compte d’un tel processus que tous les romans sur « la fin de l’Histoire » dans le libéralisme heureux, que l’élite américaine s’est racontée à elle-même dans les années 90. Ou bien pire encore, pensons à toutes les idioties des vieux « nouveaux philosophes » ex-maoïstes français, plagiant plus mal Arendt qu’un étudiant de terminale, et renvoyant l’éclatement de l’URSS à la lutte métaphysique que se jouent la démocratie et le totalitarisme (racontez à un géorgien ou à un ouzbek ayant perdu un oeil dans une manif’ que le totalitarisme n’existe plus puisqu’il n’y a plus de Partis communistes, vous verrez sa réaction. Si vous voulez continuer à rigoler demandez à Soljenitsyne ou à Walesa ce qu’ils pensent de la lutte pour les sans-papiers, le droit à l’avortement et le droit des homosexuels). Ce faisant, l’Union soviétique se présente à nous pour ce qu’elle était en 1991 : un vieil empire ayant joué en Afghanistan la guerre coloniale de trop pour pouvoir effectuer son passage au capitalisme néolibéral par ses propres forces. Les anciennes élites locales reconnaissant alors dans ce fait une « mission historique » que le pouvoir central de l’Union ne pouvait plus effectuer. Les citoyens d’URSS, à l’instar des autres habitants du pôle industriel du premier monde, passaient dès lors d’une économie providence centralisée par la technocratie militaro-administrative à la fragmentation régionale plus apte à développer le réseau-monde de l’économie néolibérale globalisée.



Pierre-Ulysse

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