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MÉMOIRE ET DISCIPLINE

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Message  Admin Mer 21 Mai - 10:41

Comment Sarkozy ramènera (enfin) les bonnes valeurs à l’école.

Les dernières semaines médiatiques ont été joyeusement animées par un tollé de réactions à la proposition de notre Sarko national sur l’école et la réussite scolaire, celui-ci souhaitant « confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah » à chaque élève de CM2. Comme le souligne La Stampa, il s’agit plus d’une « trouvaille » que d’une idée véritable*, et comme toute trouvaille, elle répond à certains objectifs, plus ou moins cachés.

Pour comprendre pourquoi la proposition est aussi étrange qu’intéressée, on peut commencer par classer les critiques qui lui ont été faites en plusieurs catégories : toutes répondent en effet à un argument spécifique :

Le premier argument est psychanalytique. Il se résume très simplement : l’enfant de primaire est fragile psychologiquement. « Confier la mémoire » d’un enfant mort lors du génocide juif est un processus affectivement lourd et déstabilisant. Donc : une telle responsabilité risque d’avoir plus d’effets négatifs que positifs sur l’enfant lui-même, écrasé par tant d’horreur et par cette culpabilité que l’Allemagne et même l’Europe entière ont toujours du mal à assumer. Ceci étant, Sarko l’implacable avait prévu la réaction des psychologues et pédagogues à la grise mine : « on ne traumatise pas les enfants en leur faisant ce cadeau de la mémoire d’un pays », répétant que c’est au contraire nécessaire pour la mémoire d’un événement qui a marqué le monde entier et dont le souvenir ne doit jamais s’effacer, de responsabiliser aussi tôt que possible la nouvelle génération, porteur du flambeau de la tolérance, du refus de l’horreur, de la barbarie et de la folie. Que répondre alors à tant de bon sens, qui se fait spécialiste à la fois de la mémoire nationale et du psychisme humain ? Les témoins directs de l’holocauste, parmi lesquels Simone Veil, semblent pourtant peser plus lourd que ces pseudo-spécialistes qui osent émettre des craintes : « c’est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste. On ne peut pas infliger cela à des petits de 10 ans ! »**. L’ancienne ministre est à elle seule un argument d’autorité, mais cela suffit-il ?

Le second argument est d’ordre scientifique ou pédagogique, plus ignoré, mais plus convainquant : l’enseignement de la Shoah, il faut bien le dire, n’est pas une idée nouvelle en Europe, or Sarko l’imprévisible nous a littéralement « pondu » sans plus de discussions cette « trouvaille » qui fait complètement abstraction des réflexions sur la place que la Shoah doit prendre dans l’enseignement primaire. Donc, la trouvaille ne s’inscrit pas dans une logique de devoir de mémoire mais se présente plus comme un « coup médiatique ». Depuis les années 70, des réflexions sur les modalités d’enseignement du génocide juif sont menés par des scientifiques et des professionnels, et, loin d’en émaner l’injonction présidentielle l’ignore complètement. Tout se passe comme si Sarko l’impétueux niait la spécificité de l’évènement pour y sensibiliser les élèves de la même manière qu’à un jumelage communale ou un échange de classes. Mais nier la spécificité de l’évènement c’est nier toute la recherche pédagogique consistant à transmettre le souvenir de la Shoah sans le déformer. Or il semble que l’on ne connaisse à l’Elysée qu’un seul mode de transmission du savoir : la foi comme passage d’information sur le mode de la séduction. Cette fois ce n’est pas seulement sur les possibles traumatismes qu’il faut s’inquiéter, c’est sur les conséquences vis-à-vis de l’enseignement de l’Histoire elle-même. Car faire reposer l’approche de la Shoah à cette fausse bonne idée, c’est confondre la mémoire avec l’élan compassionnel, c’est faire passer l’affect devant le recul de l’analyse. « C’est l’Histoire qu’il faut enseigner à l’école. La mémoire, comme la venue de témoins directs par exemple, est un complément nécessaire. Il ne faut pas que l’enfant considère la Shoah comme une parenthèse historique sortie de son contexte. Elle est l’aboutissement d’un long processus », nous rappelle Hélène Mouchard-Zay, du Centre de recherche et de documentation sur les camps d’internement du Loiret***. L’Histoire comme science est dévoyée au profit d’une histoire comme ressentiment, la distance explicatrice passe derrière la fusion affective, l’école se moralise, mais d’une morale basée sur la terreur d’un voilà-ce-qui-arrivera-si-tu-n’es-pas-vigilant.

On pourrait appuyer sur un autre argument très présent dans la presse : la trouvaille de Sarko l’intrépide vise à combler médiatiquement le vide de fond de sa réforme de l’école. C’est l’argument stratégique. C’est-à-dire en somme, focaliser le débat sur un thème consensuel : les camps de concentration. Qui osera dire alors que l’entreprise n’est pas louable (sûrement et seulement les antisémites, donc personne) ? Pourquoi pas, cela répond à une loi politique générale : l’effort de communication est fonction inverse de la pertinence concrète d’une mesure, autrement dit, le secret d’état concentre le maximum de pouvoir, et inversement : l’omniprésence dans les médias est témoin d’une impuissance radicale****. Effet de masque pour voiler les insuffisances de sa réforme, et mieux, pour faire oublier les ratés du pouvoir d’achat et de la justice. Ici Sarko l’intouchable est dans son terrain de jeu favori : le détournement massif d’opinion publique. Mais là n’est pas vraiment l’important, d’abord parce que cela ne paie pas, si l’on en croit les derniers sondages°, et ensuite parce que nous pensons que cette « trouvaille » est en effet absolument solidaire de l’ensemble de la réforme et de sa politique sécuritaire en général, loin d’en cacher la pauvreté, elle en souligne au contraire la cohérence et en couronne l’objectif principal.

Ce qui amène à notre dernier argument, sûrement le moins évident, mais le plus inquiétant et le plus lourd de conséquences. Il s’agit de revenir aux « fondamentaux » nous dit Sarko l’impassible : « les nouveaux programmes de l’école primaire présenteront en quelques pages, dans un langage évitant tout jargon, l’ensemble d’un cursus disciplinaire désormais recentré sur le français et les mathématiques », mais quel lien entre l’enseignement purifié du français et des maths et le devoir de mémoire à la sauce Sarkozy ? Rien à première vue. Or l’apprentissage des mathématiques se présente comme la création « d’automatismes en calcul [...] aussi tôt que possible grâce notamment à la pratique régulière du calcul mental ». Et de manière générale, « dans toutes les disciplines, l’accent est mis sur la mémorisation de connaissances »°°, c’est-à-dire sur l’automatisation du savoir, l’important étant le résultat, lequel jugera de la réussite d’un enseignement, et non pas le processus qui y mène. Culture de la vérité univoque, du réflexe mathématique et d’une maîtrise d’une langue simple mais strictement classique, nous voudrions suggérer l’idée selon laquelle cette ensemble pédagogique (calcul mental, langue purifiée et fusion affective de la mémoire), sous couvert d’offrir une base solide de connaissance, est plus porté à créer des mécanismes disciplinaires absolument automatiques et unidimensionnels, mécanismes corrélatifs d’une politique sécuritaire de normalisation des quartiers populaires.

Comme le rappelle encore Barbara Spinelli dans La Stampa : « Imprimer le devoir de mémoire dans l’esprit d’un enfant est extrêmement efficace. Comme l’adulte a tendance à résister, il est logique de s’en prendre plutôt aux petits, qui sont sans défense, malléables, fragiles ». Discipliner, dès le plus jeune âge, « nos enfants », c’est encore le but non avoué du retour à l’école de la morale et du civisme : « l’apprentissage des règles de politesse et de bonne tenue, la connaissance et le respect des valeurs et des emblèmes de la République française : le drapeau tricolore, Marianne, l’hymne national, à l’écoute duquel nos enfants devront se lever ». Automatisme patriote, ce n’est pas une certaine vision de l’instruction ou de l’éducation qui stipule ces mesures, mais bien une certaine vision de l’ordre social et de l’identité nationale. « La France profonde d’aujourd’hui, c’est la France des quartiers populaires. Les enfants qu’il fallait soustraire des fermes et des usines, sont devenus des enfants qu’il faut soustraire de la culture du chômage, des bandes, de l’exclusion, du désespoir et de toutes les formes d’intégrisme »°°°. Or, si l’école de la IIIème république, qu’il aime idéaliser à outrance°°°°, avait selon lui réussit à « émanciper » ces enfants d’ouvrier, c’est à l’école qu’il veut inventer de résoudre à la racine le mal populaire de notre Vème république essoufflée par tant l’immobilisme laxiste de gauche. C’est à l’école, disons-le, de normaliser enfin ces enfants tiécarisés, de discipliner la langue et la purifier du jargon, d’automatiser le calcul appliqué aux problèmes du quotidien. Pierre angulaire de cette édifice paternaliste : le parrainage des enfants français morts dans les camps pourra enfin montrer les dangers des intégrismes, le devoir de vigilance, et peut-être en sous-main, qu’il y a toujours pire que le présent : après tout, les enfants « accueillis » à l’entrée de leur école par les forces de l’ordre et reconduis à la frontière ne sont pas gazés à ce qu’on sache ?

Bref, Sarko l’infatigable nous tend la raison de cette étrange trouvaille : si les ouvriers issus de l’exode rural de la IIIè étaient les classes à normaliser, et ceci par le travail et l’école, les chômeurs issus de « la culture de l’assistanat » et de l’immigration de la Vè sont leur homologues contemporains, et parce qu’ils n’ont pas accès au travail (oisifs et peu qualifiés qu’ils sont), c’est l’école à qui échoie ce rôle d’inculcation des valeurs fondamentales et des réflexes citoyens. Mais l’école suffira-t-elle ? Sûrement pas : « je serai intransigeant. L’école doit être préservée du racket, de la violence et de la drogue. Je veux exclure des établissements les jeunes qui y sèment le trouble »#. Sarko l’égalitaire ne doublera jamais Sarko l’intransigeant : tolérance zéro pour ceux qui ne respectent pas ce nouveau contrat social éducatif, ce qui révèle, en réalité, comment l’école s’appuie d’abord sur un ordre policier visant à réinstaurer l’autorité dans la société. Autorité que les affreux libertaires de 68 avait mise à mal en plaçant l’enfant au-dessus des parents, l’élève au-dessus du maître##. Derrière la réforme de l’école primaire, l’instauration des parrainages d’enfants juifs, l’automatisation de la connaissance et la mission morale de l’école, c’est une recentrement du lien social autour des valeurs comme l’autorité, le respect et la discipline, c’est en somme le prolongement de la politique sécuritaire qu’il mène depuis des années. Il nous avait prévenu : il nettoiera toute cette racaille. Mais Sarko l’inflexible se fait plus discret, c’est à la source qu’il va purifier l’eau croupie des banlieues. Non content enfin de s’en référer aux grands écrivains du XIXè et du XXè lors de son discours devant les militants UMP en décembre 2006, voulant « une école qui, avec André Gide, considère que « l’éducation est une émancipation » », il propose en réalité un programme de discipline et de normalisation des moeurs, une idée de l’école qui n’est que le moyen de faire renier l’ordre avant tout, une école enfin digne de nos sociétés de contrôle. A quand le grand ministère de l’élevage national ?

NOTES :

* Courrier International n°903, « On ne joue pas avec les enfants de la Shoah », semaine du 21 au 27 février 2008

** Article du 15 février 2008 : « Shoah en CM2 : Simone Veil fustige l’idée de Sarkozy » sur http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp ?id=466002. Voir également, pour l’argument psychanalytique des témoins, Hélene Shoumann, article du 18 février 2008 : J’étais moi, mais aussi elle sur http://www.liberation.fr/rebonds/310573.FR.php.

*** Interview du 16 février 2008, « Ce n’est pas aux enfants d’assumer nos responsabilités d’adultes », sur le site http://www.libeorleans.fr/libe/2008/02/socit-hlne-mouc.html.

**** Soit « P.C.= Constante », formule de P. Shaeffer dans Machines à communiquer 2, 1972, Le Seuil, pp. 243 et suivantes, reprise et théorisée par R. Debray dans Cours de médiologie générale, 1991, Gallimard, pp. 451-452.

° 85 % des français sont défavorables à cette « idée », sondage Ifop, et même quand la proposition fût infléchie (la mémoire d’un enfant par classe et plus par élève), elle resta impopulaire, 61 % des personnes interrogés se dirent contre. http://www.lejdd.fr/cmc/societe/20088/shoah-au-cm2-sarkozy-desavoue_97072.html.

°° Discours de N. Sarkozy sur l’école à Périgueux du 15 février 2008

°°° Discours public de N. Sarkozy aux militants UMP : « Éducation : le devoir de réussite » à Angers le 1er décembre 2006

°°°° A ce sujet, voir « Les variations Sarkozy-Le Pen sur l’école », du 19 mars 2007, par Pierre Roche et sur le site de l’Aped : http://www.ecoledemocratique.org/spip.php ?article392.

# Ibid

## Lire à ce sujet Le Monde Diplomatique, « Des « classes dangereuses » à discipliner », par Laurent Bonnelli, n° 648, Mars 2008




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