Le Monde des pires
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LETTRE À CEUX QUI NE SE SENTIRAIENT PAS "INSPIRÉS"

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LETTRE À CEUX QUI NE SE SENTIRAIENT PAS "INSPIRÉS" Empty LETTRE À CEUX QUI NE SE SENTIRAIENT PAS "INSPIRÉS"

Message  Admin Mer 21 Mai - 10:44

Le jeune homme et son piano, si jeune, tout blond, et les doigts cavalent déjà merveilleusement sur les touches noires et blanches, son père est fier de lui, on en fera des tableaux, des films, sa musique traversera les siècles : Mozart pianote, l’artiste génial est là, talentueux et inspiré, visible : l’IMAGE de Mozart, un modèle pour beaucoup, un désastre pour bien d’autres. Non qu’il faille lui retirer ses belles partitions, mais quelle tristesse pour les « sans talents », ceux à travers qui Dieu ne parlait pas.

« Si Dieu avait joué du piano, cela eût été comme Mozart, votre fils ! », petite tête blonde, combien d’Eric Satie, de Ravel as-tu tué dans l’oeuf, enfin surtout tes admirateurs philosophes, et politiques. Trop peu génial, trop peu effervescent, car l’ARTISTE doit être comme Mozart : Inspiré !

L’image, la toute puissance de l’image : une fois créée c’est un virus, elle rentre dans les esprits comme une chanson de Claude François, elle s’inscrit dans la rétine crétine de l’esprit qui aura tôt-fait de décourager ceux, qui, dans leur miroir, croiront voir l’affreux et terrible reflet : le leur, non conforme à l’idée, l’image qu’on se fait et qu’ils ont fini par se faire du CRÉATEUR.

Finies dès lors les petites envies, les projets flottants, d’un seul coup : tous réduits au rang de la banalité, du médiocre, du « pas la peine ». L’ART ne s’improvise pas, l’ART c’est ce gros truc qu’on vous renvoie dans la gueule à coup d’exemples : « Alors toi là dedans, qu’est-ce tu vas apporter de nouveau, hein ? Laisse tomber, laisse ça à d’autres, tu sais, les Inspirés-Talentueux-Géniaux. »

Joli rêve, mais dans l’ART on ne rêve pas, on a « vocation à » !

D’un autre côté, la règle du génie s’applique à tous pour ne sélectionner personne. Sélectionner « personne » c’est-à-dire aujourd’hui sélectionner les « vides », les « néants », les « voués à », leurs « talentueux », les « riens » : le grand rendez-vous des « génies », les plateaux télés se font un plaisir d’en être les « organisateurs ». « Organisateurs » : créateurs de « rendez-vous-à-ne-manquer-sous-aucun-prétexte » mais surtout, machine à produire des organes périmés et jetables, l’image de Mozart a fait son chemin depuis, elle est le produit-slim qui colle à la peau des starlettes de 20 ans à la larme facile et au décolleté au service de leur « génie ». Elle est l’affirmation que la révélation du talent, le vrai, se fait aujourd’hui sous l’oeil du monde, du pays, des projos même si l’émotion du public s’apparente bien plus à de l’hystérie.

Il n’y a pas à commenter d’avantage le vide, le néant que produit notre société en matière d’art consensuel, mais il faut noter ceci : elle est l’extériorisation tous azimuts d’un pseudo-talent qu’elle révélerait, elle et son public, quand en même temps toute une pensée de l’Artiste a intériorisé le « tourment » artistique pour brider l’acte simple de faire.

L’acte de faire est devenu grâce à cette pensée tout ce qu’il y a de moins immédiat, faire quelque chose est à prendre avec des pincettes quand, à tout ce que l’on fait, on nous renvoie tout ce qui a déjà été fait. La spontanéité de l’action, et non de la Création, car ce mot permet aussi de mettre l’acte de faire à distance, à le rendre moins commun que ce qu’il n’est, la spontanéité de l’action, donc, s’est vue bridée par toute une iédologie que l’image de Mozart, entre autres, a permise : tu n’es pas sûr de pouvoir faire ce que tu veux entreprendre, tu es encore moins sûr de l’originalité de ce que tu projettes, et as-tu seulement tout ce qu’il faut pour te lancer dans ceci ou cela ?

Cette pensée et le show jouent finalement ensemble : le show affirme une culture obligée, massive, consensuelle dont il est le vrai CRÉATEUR (quand il y a exception, il se gargarise de cette dernière pour montrer qu’il n’est pas tout ce qu’on dit de lui, de la même manière que ceux qui s’en sortent dans les banlieues sont érigés en exemple), et de l’autre côté l’image de Mozart, inspiré, talentueux, génial, étouffe les initiatives qui pourraient émerger ailleurs et affirmer autre chose que cette culture jetable et à jeter.

L’Art consensuel a son circuit, les contre-cultures, elles, se définissent de manière bien plus périlleuse. On pourrait dire que l’action d’individus est formation d’une contre-culture, à partir du moment où, pour ces derniers, la spontanéité du « faire », de l’action s’impose, où finalement la distance que l’image de Mozart affirmait, entre la création et son auteur potentiel, est évincée. Une contre-culture est une culture qui n’aurait pas dû être, de la même manière qu’une révolution gronde quand des gens qui n’auraient pas dû se parler le font.

Une contre-culture entend le « faire », l’action, non pas comme devant être précédée d’un talent ou l’on ne sait quelle inspiration pour la rendre effective, mais comme traversant l’individu d’une manière si forte que le « tourment de l’artiste », que l’image de Mozart véhicule dans les esprits, s’efface, et que les questions qui se posent ne sont alors qu’au service du « faire », et non plus un barrage.

De cette manière, l’image de Mozart est une image d’ordre, et le show aussi. L’image de Mozart est le frein à l’acte de faire, intériorisé dans l’esprit de chaque individu ainsi que dans le discours de l’idéologie dominante, et le show est la structure dévastatrice et omniprésente d’une culture qui n’en accepte aucune autre. Il ne s’agit pas, bien sûr, de faire un procès à Mozart, mais bien celui de toute une pensée qui se trouve étroitement mêlée aujourd’hui avec une certaine politique du spectacle, du show. Il est de bon ton de défendre les génies, d’en rappeler les noms, d’insister sur le fait qu’il y a des perles dans cette population, et qu’il faut des moyens pour les en tirer. C’est pour défendre la culture que nous faisons tout ça, et ça marche, diront les organisateurs.

Pour répondre et continuer dans le sens de l’article « VIGILES ! éléments pour une forme de vie pirate. » paru dans ce même numéro, et pour répondre, plus particulièrement à la dernière recommandation de l’auteur : « soyons disposés à pirater les interstices », on peut affirmer qu’il faut peut-être justement entendre dans cette dernière phrase, que les contre-cultures, que le « faire » spontané, celui qui se débarrasse des Génies, des Artistes, des Créateurs, des Inspirés et de leurs tourments, est justement une forme de piratage. L’action entendue non-pas simplement comme un virus, mais aussi comme celle qui prend les chemins déviants, pas les « bons », les autres, apparus lors d’une fissure du monde culturel dominant. Les contre-cultures, ce sont celles des pirates, des pires, des « sans titres » mais qui font quand même, de ceux chez qui l’envie de faire quelque chose, se manifeste comme une envie de pisser, de ceux pour qui le terme de Création ne désigne que le simple mouvement de leur corps pour chanter, écrire, danser. Les contre-cultures effraient parce que libérées du poids de la vocation, du poids du talent, ce sont des individus brouillons, des individus qui s’essayent, des devenirs casse-gueule, contre lesquels toute stratégie politique de démobilisation est ridicule, puisque les chutes, ils connaissent.

Ainsi il ne reste plus qu’à parier sur l’image de Mozart, elle est l’espoir politique que l’individu n’osera pas entrer dans les interstices parce qu’il sera dérouté avant, parce qu’il oubliera que sa force de « faire » est avant tout spontanée, parce qu’il aura peur du regard de la Culture et parce qu’il vivra sa propre action comme jugée par celle de tous les autres. Ainsi il n’agira pas, il attendra l’inspiration qui déterminera l’action unique, jamais vue, l’action nouvelle par excellence, qui ne viendra peut-être jamais. Jamais parce qu’entre temps, il se Cultivera et pourra alors dresser le terrible portrait d’un vingt-et-unième siècle qui ne fait qu’imiter, reprendre les oeuvres déjà faites confirmant ainsi sa terrifiante vacuité.

Cet individu aura oublié que l’appétit vient en mangeant. Que le faire est spontané et qu’il s’engendre lui-même : « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire. », comment écouter ces paroles de l’héroïne de Godard dans Pierrot le Fou, qui auront été celles de toute une génération de cinéastes ? Paroles de l’art en train de se faire, du cinéma en train de se faire, l’endroit où l’artiste disparaît, où l’oeuvre s’auto-construit, elle est le rapport de machines, de temps et de mouvement, du monde qui vit sous l’oeil de la caméra, du cri dans le mégaphone : « Action ! » qui la déclenche, la filme et la fait, l’action, l’agir, le faire.

Que reste-t-il du fameux désir : « Des oeuvres, pas des artistes, les artistes, ça ne compte pas ! », l’inspiration, niée, puisque plus d’inspirés. Plus d’artiste, juste une oeuvre ; plus de Godard, juste un Mépris. L’image de Mozart n’a pas de prise ici, elle ne parasite plus rien, puisque des individus, il n’y en a plus, ils sont les conduits du « faire », les pirates de l’agir.

Des oeuvres interstices, elles font partie des futures armes de demain, alors pas question de laisser l’image de Mozart les bouffer, de toute façon il n’y a plus rien à manger. Quant à ceux qui s’élèveront contre et qui ne tarderont pas, n’oublions pas que « les pouvoirs (et ceux qui les servent) transforment en cliché tout ce qui est nouveau ».



gabriel

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