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La polysémie du terme "Démocratie" et ses enjeux aujourd'hui 2/3

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Message  Admin Sam 5 Juil - 17:38

III. Elitisme et démagogie

L’argument fallacieux et les présupposés du discours de la « compétence »

Les justifications du procédé représentatif sont variées : le petit peuple n’a pas envie de gouverner, il veut regarder TF1 et profiter dans son coin du morceau de propriété privée qui est le sien – et s’il en avait envie, il n’est pas compétent. Cette question de la compétence est au cœur du tour de force rhétorique qui consiste à présenter les oligarchies et bureaucraties en place comme des élites justifiées à être là où elles sont. La justification de l’élitisme représentatif, du philosophe-Roi de Platon à l’expert en gestion-gouvernance, repose sur une idée qui semble relever du bon sens : cette idée est celle selon laquelle c’est le plus compétent pour une chose qui est le mieux placé pour en traiter, en parler, ou exercer une fonction à son sujet. Il n’y a certes rien de gênant, évidemment, à reconnaître que certains savent et d’autres pas sur tel ou tel sujet : le fait de cette division est indéniable, et n’est pas le problème. Et d’ailleurs l’instance de l’expertise est aussi celle d’une vigilance attentive aux abus de pouvoirs qui peuvent proliférer sur le mensonge.

Mais la justification de cet élitisme repose sur des présupposés socio-politiques qui, après explicitation, montrent que l’argument de « bon sens » est tout sauf neutre. (1) « Compétence » pour quoi ? La division et la hiérarchie des savoirs et des « compétences » reposent toujours sur des échelles de valeurs et d’intérêts : avant de parler de compétence, il faut parler des finalités à l’aune desquelles on les établit : avec et au-delà de la LRU, par exemple, c’est bien la question des finalités qui est en jeu, et c’est bien cela que beaucoup refusent d’entendre. Bref, il n’y a pas de compétence « en soi », cette division est tout sauf une évidence. (2) Le caractère réactionnaire ou élitiste d’une division tient non pas au fait, contingent, de cette division, mais au fait qu’on la présente comme une division de droit alors qu’elle est le simple produit d’une histoire sociale. Insister sur la contingence de cette division, c’est donc dire que : 1) certes il y en a qui en savent plus que d'autres sur certaines choses, mais que non ce ne sont pas toujours les mêmes, 2) non ce n'est pas réservé à une élite qui serait élite par soi ; 3) et surtout, ça peut changer, ne serait-ce que parce qu’une compétence, donc, ne se détermine comme telle qu’en fonction d’une finalité qui est justement en question, et qu’étant reconnu que telle finalité exige telle compétence, celle-ci peut s’apprendre a priori par n’importe qui.

L’écueil démagogique et la fiction du « sujet collectif » transparent à soi

La substance de la démocratie directe, c’est le refus de l’élitisme, qui passe par la contestation des fausses évidences avec lesquelles on le justifie, et par la contestation des structures sociologiques qui figent cette division entre les experts et les ignorants. Marx l’avait très clairement dit dans sa Critique du droit politique hégélien de 1843 : la question de la démocratie, c’est la question de la politique tout court. La démocratie est en ce sens « l’énigme résolue de toutes les constitutions », c’est leur « essence », cachée, voilée, distordue, etc., puisque toute constitution est une façon d’organiser et de légaliser cette séparation du peuple de l’exercice réel du pouvoir politique, alors capté par une élite ou une bureaucratie donnée. Toute lutte démocratique a pour cible cette séparation. Elle a donc aussi immédiatement pour cible le mépris par lequel l’élite va jusqu’à nier les « ignorants », mépris par lequel aussi, concrètement et pour l’exemple, un professeur est capable de nier, de renier, ceux qui font le sens de ses « compétences », parce qu’il est mis en question dans son confort petit-bourgeois : les étudiants.

Mais récuser cet élitisme, ce qui est un des sens de la démocratie, ne suffit pas. La difficulté de la pratique directe de la démocratie est réelle, puisqu’elle semble impliquer, pour être conforme à son concept, une stricte égalité dans les capacités concrètes d’usage de la liberté d’opinion et d’expression de ceux qui sont rassemblés, qui semble seule garante d’une rationalité collective effective. Or cette assemblée, tout comme une action collective, ne saurait être vue comme un « Sujet collectif » qui serait comme un hyperorganisme transparent à soi, fonctionnant comme un seul homme à partir de relations inter-individuelles plus ou moins dispersées. Le collectif démocratique ne saurait être substantiel : il restera toujours un mouvement, une opération, une tension. La fiction du « peuple » homogène est la même fiction que celle d’une action collective parfaitement unitaire, en ce qu’ils ne sont que le processus de cette réalisation. Cela reste le nœud critique du problème de l’organisation politique, puisqu’elle se heurte à cette irréductibilité mutuelle du collectif à l’individuel, à leur excès mutuel, et donc à leur insolubilité foncière dans ce qui constitue pourtant un pré-requis stratégique : l’unité dans les luttes. Cette unité ne saurait être « substantielle » si elle veut éviter d’être sa propre auto-négation comme par le passé : ni dominée par une avant-garde, ni pure auto-création tendant à sa propre dispersion, cette unité ne pourra être qu’opérationnelle.

Rappeler que le bien commun se construit collectivement et à égalité, c’est aussi faire en sorte que cette égalité advienne progressivement, c’est donc aussi rappeler que les transformations individuelles et les nouvelles relations qu’elles impliquent prennent du temps, et que jamais cela ne se produit sans tensions et sans difficultés. Autrement dit, si prôner le « débat libre et contradictoire » dans une pièce, pendant que le pouvoir réel s’exerce à côté, est tout à fait mystificateur, appeler à la « démocratie directe » sans plus n’est pas sans poser question : si cette invocation est vœu pieux, elle peut tendre à voiler les difficultés d’un collectif à se constituer conformément à ce qu’elle exige, et donc tendre à son excès, la démagogie, qui est par définition propice au retour du refoulé élitiste, comme les Grecs l’avaient déjà fort bien vu.

L’impossible neutralité

Reste que dans le contexte comme celui d’une université en grève il y a un choix à faire : quitte à contester la transparence d’une Assemblée Générale, alors il faut insister encore plus sur la mauvaise foi de l’isoloir. Il est certes avéré que les actions minoritaires, violentes ou non, ne valent pas les actions collectives d’ampleur, qui sont évidemment dans le principe celles par lesquelles la lutte démocratique s’accomplira avec le plus de sens et d’efficace. Mais on n’oubliera pas qu’elles sont un processus toujours en cours, et jamais un donné. Elles sont construction de convergences tactiques et stratégiques : jamais les luttes sociales ne commencent par elles. Mais la nature minoritaire d’une contestation ne fait pas qu’elle a tort : c’est bien ce qui fait qu’elle doit parfois passer par des biais non consensuels (le blocage et l’occupation en constituant une forme parmi tant d’autres) : raison pour laquelle, elle est, bien sûr à des degrés divers, du plus modéré au plus réactionnaire, stigmatisée (corporatiste, vouée à l’échec, etc.), criminalisée (indûment « violente » et « anti-démocratique ») et culpabilisée – puisque les usagers sont pris « en otage », etc.

Rappelons qu’une grève est là pour perturber en profondeur un ordre établi, et s’accompagne nécessairement des modes d’action utiles (dont la détermination est toujours affaire de contexte) à sa finalité : et rappeler à ceux d’en haut que ceux d’en bas ne sont pas dupes, et n’ont pas d’autres moyens. Condamner une grève pour cette « violence », c’est la condamner par essence. L’ampleur du révisionnisme d’aujourd’hui qui soude et généralise de plus en plus explicitement le paradigme idéologique dont on parle au début, se traduit bien par l’énoncé selon lequel le gréviste est un terroriste, khmer rouge ou apprenti-dictateur. Mais ne nous étonnons pas : quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage… Marx là encore avait formulé de façon limpide la situation dans La guerre civile en France (1871) :

« Le bourgeois de nos jours se considère comme le successeur légitime du baron de jadis, pour lequel toute arme dans sa propre main était juste contre le plébéien, alors qu’aux mains du plébéien la moindre arme constituait par elle-même un crime »

Certes la démocratie directe dans les périodes de lutte et de crise est loin d’être transparente, certes une lutte ne fait pas concrètement disparaître les travers des relations humaines, certes ceux qui n’ont rien demandé subissent : mais qu’ils ne se trompent pas de cible, et ne confondent pas l’agresseur et l’agressé. Une assemblée générale, aussi cacophonique soit-elle, ces rencontres, ces luttes redonnent toujours du moins l’habitude du rassemblement, l’habitude de se dire que les problèmes se régleront ensemble, et à défaut de produire l’unanimité effective, elles en rappellent au moins la possibilité.

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