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La polysémie du terme "Démocratie" et ses enjeux aujourd'hui 3/3

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Message  Admin Sam 5 Juil - 17:41

IV. Rapports de force et « utopie »

Le primat de la force

La question n’est en tous cas pas de remettre en cause le suffrage universel, essentiel pour tout régime possiblement non représentatif, mais le magnifier est fort dangereux également : c’est aussi grâce au SU que des régimes fascistes sont nés. Le sens et la justification éventuelle de l’injonction démocratique, aujourd’hui, ne saurait de toutes façons pas se suffire de l’appel à la souveraineté populaire. Mon idée est que, si l’on veut radicaliser la lutte démocratique, l’on ne peut pas la « justifier » : c’est et cela restera à ce petit peuple sans droit de s’arroger le droit : autrement dit, tout est une question de rapport de forces et de qui imposera quoi, et de comment il l’imposera, en fonction du « quoi » qu’il aura la volonté de vouloir faire advenir. La première opération consistera à assumer cette nécessité de la force. Que cela se fasse au nom des droits de l’homme est une chose, qu’on utilise les structures juridiques en place pour défendre certaines libertés, certes : mais l’histoire nous montre que c’est toujours au fond la force qui fait le droit et que celui-ci vient toujours après.

La configuration politique actuelle est hautement ouverte même si, excepté l’hiver 2005-2006, le trait dominant des révoltes collectives des trente dernières années reste pour l’instant celui d’un arrêt avant l’affrontement réel : « réel » signifiant ici « qui serait à nouveau capable de produire de l’irréversible ». Pourquoi ce non-passage à l’acte ? Nous avons quitté le matin du grand soir : la somme de défaites, d’errances accumulées, l’état déplorable du monde, le marasme intellectuel global des pensées de gauche, fait que l’espoir en un autre avenir a disparu. Or, seul cet espoir serait synonyme d’un « tout à gagner » apte à supplanter ce que nous avons à perdre : lequel pousse logiquement en attendant à finalement choisir la soumission à l’ordre ambiant, quand cette soumission n’est pas carrément le choix initial. La responsabilité historique de la social-démocratie est ici flagrante, et la situation actuelle partage nombre de traits avec celle d’il y a une trentaine d’années. Il n’est donc pas étonnant que traditionnellement, comme actuellement de façon intensifiée, cette social-démocratie participe activement, avec son idiome propre, à ces ensembles de raccourcis révisionnistes, qui continuent de délégitimer d’emblée toute remise en cause réelle de la société actuelle, immédiatement jugée comme par essence génératrice de machines terrorisantes. Revenir aux racines de l’idéologie contemporaine, mettre en évidence, encore et toujours, le ciment du bloc idéologique hégémonique, revient donc à montrer à quel point ce révisionnisme politico-historique général, qui mélange formes de résistances et types de violences politiques qualitativement différentes, fait corps, au plus haut degré de nos oligarchies, avec la rhétorique de la « défense de la démocratie ». On pourra d’une part « sourire des invectives grossières des valets de plume et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d’ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d’oracle de l’infaillibilité scientifique » (5). Mais quand ces valets se font offensifs chiens de garde, on ne peut plus se contenter de sourire.

Le danger de l’utopie

On comprend alors facilement le danger majeur que représente toute tentative de réinstitution d’un possible politique, ou même d’un impossible utopique – la politique comme art de l’impossible nous dit S. Zizek (6). La remise en cause réelle de l’ordre oligarchique corrélative de ce danger est certes immédiatement disqualifiée, au nom de la « démocratie » et d’un principe de « responsabilité » et de « réalité » qui a déjà choisi la réalité considérée comme pertinente. D’aucuns rétorquent en permanence à ceux qui luttent qu’ils n’ont pas de « programme alternatif » : mais le black-out réalisé sur les forces de contre-propositions (pour sortir de la déliquescence de l’Université actuelle, par exemple), et le fait qu’un tel programme ne se décrète pas, sont deux premiers éléments à garder à l’esprit. Plus généralement, derrière des slogans comme « Vive la Commune ! » visibles en manifestations, il y aussi et surtout une posture, qui, quels que soient les biais par lesquels elle s’exprime, est celle du souci de rappeler qu’une autre façon de voir les choses, plus exigeante, plus émancipatrice, est une condition nécessaire de la vie collective.

La question n’est donc pas de défendre, contre les tenants d’un « réalisme » plus ou moins pragmatique, plus ou moins offensif ou désabusé, un quelconque « principe utopie » qu’ils disqualifient par principe, mais plutôt de voir que l’activité utopisante, bien plus que par ses contenus variés, est avant tout, comme l’explique le philosophe américain F. Jameson, méthode (7) , opération dont la fonction est de faire éclater les limites imposées à la « bonne » imagination consensuelle. C’est-à-dire de nous renvoyer au visage notre imagination bridée, et nous pousser par là à reconstruire un sens du futur instillant au moins l’idée toute simple qu’il n’y a pas d’inéluctabilité, capitaliste en particulier. Décrypter les mécanismes idéologiques hégémoniques, les nouvelles « propagandes du quotidien » (É. Hazan (8 )) est toujours aussi utile mais la mystification ne tient pas tant au contenu des représentations véhiculées qu’à la façon dont on formate les individus lambda à les recevoir : à savoir comme les seules possibles. Formatage et répression idéologiques dont par essence les logiques utopisantes sont la cible, et réciproquement. Marx l’écrivait déjà de façon limpide dans La guerre civile en France : « La classe ouvrière n’espérait pas des miracles de la Commune. Elle n’a pas d’utopies toute faites à introduire par décret du peuple… Elle n’a pas à réaliser d’idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre » (9). Si donc le passage à l’acte de la puissance démocratique reprend une vigueur politique, sous le sceau d’un sens du futur reconquis, cet activisme revu et corrigé ne véhiculera nécessairement qu’une esquisse de programme, ne saura être qu’une création continuée dont on ne peut donc pas présager des formes possibles : la Commune, ou tout autre nom qu’on pourra lui donner, reste à construire et à écrire. Contre le « réalisme », et la raison cynique d’une côté, le « narcissisme de la défaite » (Zizek) de l’autre, réveiller ce sens de la possibilité de l’impossible implique alors corrélativement de se rappeler qu’on ne peut donc pas non plus présager des moyens possibles qui seront les siens, lesquels seront fonction de l’ordre en place qui vendra chèrement sa peau, et de la façon dont elle la vendra. C’est de ce point de vue là que se re-pose la question de la violence comme possible politique qui ne saurait être a priori rejeté.

Ouverture : résister et passer à l’acte contre la « Police » de l’accumulation

« Voter, ne pas voter, c’est pareil. S’abstenir, en effet, c’est confirmer la majorité nouvelle, quelle qu’elle soit. Quoi qu’on fasse à ce sujet, on n’aura rien fait si l’on ne lutte en même temps, cela veut dire dès aujourd’hui, contre le système de la démocratie indirecte qui nous réduit délibérément à l’impuissance en tentant, chacun selon ses ressources, d’organiser le vaste mouvement antihiérarchique qui conteste partout les institutions » (10). C’est-à-dire ? Déjà, participer à cette reconstruction d’un nouveau sens du futur, l’autre visage d’un dépassement conséquent des défaites des luttes démocratiques, contre les mythes de la fin de l’histoire ou des idéologies autant que les mythes du « Grand soir ». Ceci constitue aujourd’hui un élément essentiel de toute prospective théorico-pratique conforme aux exigences d’une lutte de classes aussi instruite qu’offensive. Et si la démocratie est alors à penser contre la fiction de cet « espace public » confiné dont on nous rabâche les vertus, notre effort quotidien sera encore et toujours de lutter contre ce que Rancière appelle la « Police », la répression organisée, qui ne dit pas son nom, contre tout ce qui combat la logique d’accumulation privée des espaces possiblement communs – comme une université. Résister à la priva(tisa)tion, et de façon plus offensive, dé-privatiser et ré-occuper les espaces en question, ces espaces privés et privatisés qui n’ont aucune raison de l’être (comme les usines) puisque cette contradiction est le cœur du politique, localement comme mondialement.

Sartre rappelait qu’« Il n’y a pas des intellectuels et des masses. Il y a des gens, qui veulent des choses, et en ce sens, ils sont tous égaux », même s’ils veulent des choses incompatibles. Et ces rapports de forces peuvent bien sûr être violents : cette violence plus largement est la hantise du politique. La violence de ceux qui résistent, ne saurait malgré tout être mise sur le même plan que la violence de ceux agressent : assimiler les deux, c’est de la malhonnêteté pure et simple, au moins en ce que cela consiste à refuser de voir le problème, et donc à marteler qu’il n’y a pas de problème social, mais seulement un problème de voyous (comme Sarkozy le dit depuis longtemps au sujet des émeutes de banlieues).

La question qui se pose sera de savoir si nous, les quelconques, serons capables d’accomplir les médiations suffisantes pour cette libération, pour conspirer efficacement, une fois encore, jusqu’à libérer l’Enfermé (Blanqui) : de nous ré-organiser jusqu’à « désarmer la bourgeoisie, armer le peuple » avec les armes du XXIe siècle. En ces temps de populisme autoritaire et de politique socio-économique de la terre brûlée, il se pourrait que les occasions ne manquent pas de se poser concrètement la question : dès lors, nous verrons si nous sommes prêts à prendre les coups qu’un tel engagement à la hauteur de la guerre en cours impliquera. La néo-punk Ruda Salska le chantait il y a peu dans Le bruit du bang : « Du lance-pierre au lance-flammes tout peut vite basculer ».


Emmanuel Barot.

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5. K. Marx La guerre civile en France, Paris : Mille et Une Nuits 2007, p. 57.
6. S. Zizek, Plaidoyer en faveur de l’intolérance, Castelnau-le-Lez : Climats, 2004. Voir du même auteur sa toute récente présentation des textes principaux de Robespierre : Robespierre : entre vertu et terreur, Paris : Stock (coll. L’autre pensée) 2008.
7. F. Jameson, « L’utopie comme méthode », revue Contretemps (éd. Textuel), 2007, n° 20, p. 61-70. Voir son tout récent Archéologies du futur. Le désir nommé utopie, Paris : Max Milo L’inconnu 2007.
8. E. Hazan, Les propagandes du quotidien, Paris : Plein Feux 2004.
9. K. Marx, La guerre civile en France, p. 56-57.
10. Sartre, « Elections pièges à cons », p. 87, je souligne.

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