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Message  Admin Mer 21 Mai - 10:43

Le 21 février dernier, le Conseil Constitutionnel, saisi de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental, a rendu une décision qui risque de faire date dans l’histoire de nos institutions, moins en raison de son contenu que de la riposte présidentielle qu’elle a déclenchée.

Cette décision a été qualifiée par certains d’ « extrêmement habile » (D. Rousseau) car tout en affirmant la conformité à la Constitution des dispositions de la loi relatives à la rétention de sûreté des criminels dangereux à leur sortie de prison, le Conseil constitutionnel les a rendu de fait inapplicables avant quinze ans en refusant leur application rétroactive à des personnes condamnées avant la publication de la loi ainsi qu’à celles condamnées postérieurement à cette date mais pour des faits antérieurs. Mais en fait d’adresse politique, la décision a viré au mauvais tour de passe-passe peu apprécié des promoteurs de cette loi, qui sont convaincus de la gravité du sujet (pensez : la sécurité des victimes potentielles de criminels dangereux présumés coupables d’infractions à venir) et assurés du soutien d’une large partie de l’opinion publique. Quoi qu’il en soit, d’un point de vue juridique, la décision apparaît bien fragile. Pour valider la loi, le Conseil constitutionnel commence en effet par écarter la qualification de peine mais, pour censurer son application rétroactive, soumet ensuite ce qui a été qualifié de « mesure de prévention » au même régime que la peine.

Quant à la riposte présidentielle, loin de se réduire à un caprice d’enfant gâté auquel on aurait refusé un nouveau jouet, elle pourrait bien se révéler machiavélique. Interpellé dès le vendredi 22 février au soir par le Président de la République, le premier Président de la Cour de cassation recevait dès le lundi 25 une « lettre de mission » l’invitant à faire « toutes propositions utiles d’adaptation de notre droit pour que les condamnés, exécutant actuellement leur peine et présentant les risques les plus grands de récidive, puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l’amoindrissement de ces risques ».

Pourquoi dénoncer un dessein machiavélique dans cette simple lettre de mission adressée au premier Président de la plus haute juridiction judiciaire française, Vincent Lamanda ? (Ironie du sort : propulsé sur la scène médiatique indépendamment de sa volonté, les Français auront appris le nom du plus haut magistrat de France en même temps peut-être que celui de son prédecesseur, Guy Canivet, devenu depuis un des sages du Conseil constitutionnel, et qui avait dépensé sans compter son énergie au service de la médiatisation de « sa » juridiction). C’est que la manoeuvre révèle une parfaite compréhension du fonctionnement actuel de nos institutions, fonctionnement de plus en plus éloigné de la célèbre théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu.

L’avènement de l’État de droit s’est accompagné de la montée en puissance de la figure du juge au plan national et international. La loi nationale n’est plus souveraine et cède sous les assauts répétés, non pas d’un juge, mais des juges de plusieurs ordres indépendants, soit en s’en tenant au plan interne : le juge constitutionnel, le juge judiciaire et le juge administratif. Ainsi depuis 1971, le juge constitutionnel s’est auto-proclamé juge de la conformité de la loi à un bloc de constitutionnalité précisé et complété par lui-même et les juges judiciaires et administratifs, au-delà de leur participation naturelle à la création du droit grâce à leur jurisprudence, se sont également arrogés le pouvoir d’écarter la loi nationale pour contrariété à des textes internationaux. Désormais placés au-dessus de la loi qu’ils censurent, les juges suprêmes de ces différents ordres (Conseil constitutionnel, Cour de cassation et Conseil d’État) sont tentés de concurrencer le législateur, en écrivant un droit général et abstrait et non plus seulement en rendant des décisions particulières et concrètes. Le machiavélisme de notre Président consiste à prendre acte de cette entreprise de création du droit par les juges et à placer ici à leur tour les juges constitutionnel et judiciaire en situation de concurrence, afin que le second refasse la loi (là est la nouveauté) que le premier a défaite. Pourquoi en effet cette lettre de mission au premier Président de la Cour de cassation ? Parce qu’il est le plus haut magistrat de France et préside la juridiction jugeant en dernier ressort des affaires criminelles ; et parce que, dans le meilleur des cas pour Nicolas Sarkozy, une proposition par Vincent Lamanda d’interprétation de la loi récemment promulguée permettant de « contourner » la décision du Conseil constitutionnel concernant les dispositions censurées, autoriserait à faire l’économie d’une loi nouvelle (ou d’une révision de la Constitution), et assurerait de par la seule autorité de celui ayant rendu cet avis l’application de la loi ainsi interprétée par les Cours d’assises subordonnées, elles, à la Cour de cassation. Car l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel interdit seulement aux parlementaires auteurs de la saisine de saisir à nouveau cette juridiction de la même question et l’opposabilité de la décision du Conseil constitutionnel ne signifie pas l’absence de marge de manoeuvre pour le juge judiciaire (idem pour le juge administratif hors-jeu ici). L’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel au soutien de sa décision ne s’impose pas en droit au juge judiciaire. Certes la loi a été amputée de certaines de ces dispositions mais ce qu’il en reste ne saurait échapper à l’interprétation du juge judiciaire, tout au plus stricte et dominée par le principe de non-rétroactivité de la loi si l’on est en matière pénale. Cette interprétation aurait dû se dégager à l’occasion de l’application de la loi aux cas soumis à ce juge sous le contrôle de la Cour de cassation. Le Président de la République n’a pas voulu attendre le temps du procès et a adressé en dehors de tout procès une demande d’avis au premier Président de la Cour de cassation.

Il n’est pas exclu que ce dernier suggère demain au Président de la République, et indirectement aux Cours d’assises (qui risqueraient de voir leurs décisions cassées en cas de non-respect de l’avis formulé par le Président de la Cour de cassation) que la rétention de sûreté n’est pas une peine (en accord avec la décision du Conseil constitutionnel) et que le principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale n’a donc pas à jouer (contrairement à cette même décision du Conseil constitutionnel). Ici réside le risque de conflit entre ces juges, qui croiront gouverner quand leur conflit aura été en réalité instrumentalisé par un Président de la République alors en mesure de confondre tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) .

Risque que le premier Président de la Cour de cassation aurait pu éviter en déclinant l’ invitation du Président de la République au nom de ce qu’il reste du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.



lyly

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